Entre la matière initiale et 2016, début du troisième millénaire, un corpus épistémologique s’interpose. Il ne surgit pas il y a six millénaires, avec la prétendue naissance de l’écriture.
Le corps épistémologique, c’est le système lui-même d’échange d’informations.
Il y a continuité. L’écriture n’est qu’un moyen supplémentaire que se donne le système d’informations initial. Le chasseur-cueilleur-pêcheur sait lire les traces d’un animal. Il sait aussi les reproduire pour les transmettre. Il sait lire et écrire. Toute recherche qui passe par le média du scribe – le manuscrit – reproduit le système d’informations initial. La formulation – celle tout aussi bien du physicien, du chimiste ou du mathématicien – applique la loi des similitudes coïncidentes. De facto.
Le formulateur, c’est de la matière qui s’envoie des informations. La matière se parle, réfléchit. Elle se reflète. Du coup, la graphie d’un texte, l’assemblage des lettres devient particulièrement curieux à observer.
Le rapport d’étude qui en sera tiré passera obligatoirement par une transcription calligraphiée. Le comportement du langage, de la langue, des mots du corps du contexte, du texte, donne de précieuses clés d’observation.
Écrire, c’est mettre les mots dans un ordre différent.
Écrire, c’est mettre en équivalence de non-équivalents. L’intersubjectivité, interdisciplinarité s’il en est, joue comme un accélérateur de particules. Les mots se cherchent. Il se retrouve dans la sonorité du mot, dans les silences, « e » muet mystérieux. Il se retrouve dans le rythme au souffle des accents, dans les marches et démarches de la phrase composite, composée. L’homophonie établit un lien de parenté certes historique, géographique mais surtout l’homophonie se reconnaît.
Le corps de l’écrivant part alors dans une recherche expérimentale. Cette recherche se fait au pays des mots, ethnologie puissante des peuples et de leur civilisation, de ce pays des mots.
Une fonction neuronale et intestinale, redistribue les assemblages. Les neurones cherchent de l’information pour se développer. De ce point de vue, l’écrivant n’est qu’un vague outil de transcription. Un sous-logiciel pour sous-programme : l’homme.
Lorsque quelques mots se réjouissent d’avoir une tribu inattendue et enfin explorée, la tribu trépigne et demande à être mémorisée. Puis la tribu des mots reprend de nouvelles aventures.
Ce jeu de mots explique tout. Jeu de mots dits, de maudits, de maux dits, en espérant que le transcripteur ne travaille pas dans la ville de Meaux (France).
Ainsi par accumulation primitive un corpus épistémologique se construit.
Les mathématiciens, les chimistes, les uns et les autres suivent ce programme.
Un chiffre est un mot.
Par contre, pour les spécialistes d’un langage d’élite, la couleur des symboles et leur forme scripturale joue un rôle supérieur. Le mot n’est pas un nombre, à première vue.
Entre la matière et son histoire et le chercheur, le corpus épistémologique s’interpose constamment. C’est une constante intersubjective forte. L’acte poétique ne doit en aucune façon être ignoré. La poésie est un laisser aller de l’impulsion de l’énergie primitive. Elle ne peut qu’être idéologique, certes, mais elle laisse aller toutes les connexions abordables instantanément à la vitesse de la lumière.
Tout acte épistémologique est un acte poétique.
L’acte poétique est la forme la plus élevée de la recherche. La poésie n’est pas une éthique, elle joue de la mémoire du corps pour progresser, pour faire progresser.
La poésie entre magistralement dans la composition de la soupe qui cuit dans les marmites de l’avenir.
La graine se souvient de l’arbre qu’elle devient.
Le mot, la ligne, bref l’information se souvient de l’argument qu’il, qu’elle va devenir. Comme un arbre mange avec ses pieds, l’information mange elle aussi avec ses racines. Des racines et des ailes. Déracinée des ailes. Parcours fascinant à suivre, à suivre des yeux et de tout le corps.
Tout le corpus épistémologique. L’anthropologie arrive bien après l’érection de ce corps épistémologique non-encore humain. On ne dit pas « corpus » par inadvertance. Il y a des similitudes coïncidentes. Le corpus n’en est pas moins pour autant qu’il était épistémologique, un corps, un corps vivant, qui croit. Du verbe croire. En tant que corpus, il ne croit (du verbe croire) en rien. Il se mettra à croire jusqu’à croire qu’il est un homme. Il n’y a de corpus épistémologique que parce que l’homme le met au monde en l’exprimant.
Ce corpus n’est que l’accumulation par superposition de toutes les formes corporelles existantes. Le corpus épistémologique, c’est une poupée russe de corps en vie.
De là à penser qu’il n’y a que des corps vivants même apparemment morts, il y a un pas agréable à franchir.
Cette enveloppe corporelle ne fait pas barrage. Elle est l’information en circulation. Il n’y a rien d’autre que du corps matériel. La pensée, l’esprit (quand on n’en a…), ne sont pas plus ni moins que de la matière. Inutile d’idéaliser la chose, elle est déjà idéale.