La mythologie grecque prête à Argus un œil supérieur, un regard synthétique, perçant et farouche. Par glissement sémantique, l’argus moderne code les objets en fonction de leur prix. L’Argus de la presse par ailleurs permet de recenser toutes les informations médiatisées données sur un sujet, une personne ou un événement historique.
Ulysse revenant à Ithaque est reconnu par un seul être, son chien, nommé Argus.
Le nouveau mode de production agricole, qui se met en place, va fonder sa dynamique sur un argus des connaissances acquises au cours des millénaires précédents. Ce système de classification conduit à la confidentialité de classe.
La rupture géo-politique est tout entière opérée par ce procédé. L’information n’est plus collectivisée, mais au contraire devient un capital de connaissances ségrégationniste.
Cet argus du corps privatisé pose les bases de toute la géo-histoire de l’Homo sapiens sapiens puis de l’homme moderne. L’interminable cheminement de l’être humain envers son corps commence lors de ce bouleversement.
Tout devient argutie. Le corps est le seul moyen donné à l’homme pour s’informer. Ce centre de recueil d’informations hiérarchise les données en proportion de leur fonction pragmatique. Cette hiérarchisation vitale, vitaliste, c’est l’argus du corps, son univers dynamique, sa raison d’être. Non seulement il doit acquérir l’inné (justement pour le rendre fonctionnel) mais il doit de plus choisir parmi les données acquises, celles susceptibles de permettre un corps augmenté. Le problème initial demeure toujours le même : le corps est inadapté à son milieu, comment le faire transiter vers le corps augmenté, nécessaire à à, somme toute, une vie meilleure. L’opposition qui surgit à la privatisation d’un corps qui reste en majorité collectif ne sait apparaître que de visu, c’est-à-dire que sur la base de preuves matérielles identifiées. Il y a donc bien corps à corps, première opposition d’autant plus désarçonnante qu’elle surgit entre un corps constitué, le corps naturel initial et un corps qui est objectivement identique mais qui veut se démarquer pour devenir la force de travail d’un mode de production qui amorce sa sortie du mode de production écologique et poétique. Ce mode de la U-caverne est sa culture ancestrale. Cette culture n’intègre pas dans les mentalités l’anticommunisme. Il y a parti unique imposant une pensée unique : la collectivité gère l’individualité qui se plie à ce collectif. La propriété privée, la famille, l’agriculture n’existent pas, la possibilité objective que ces modes de relation existent n’existe pas. Son apparition intersubjective sidère.
Pourtant une fois la privatisation amorcée, rien ne l’arrête dans son désir d’augmentation. La valeur cotée à l’argus du corps privé bouleverse les pratiques uniformisées de cette civilisation première qui a mis des milliers d’années à parvenir à cet équilibre remarquable. Il est possible que le moment historique puisse être daté à il y a 75 000 ans, lors des irruptions volcaniques sur toute la surface de la Terre. Ces irruptions avaient ramené le nombre d’hommes à moins de 500 000. La reprise démographique laisse penser que la revendication de paternité se fait à cette époque. Les archéologues seuls pourraient crédibiliser cette hypothèse.
L’homme agraire rencontre bien vite le problème de la sécurité. Pour autant qu’il est privatisé, pour autant il est isolé et donc en danger. Cette fonction sécuritaire était assurée par la tribu, par le collectif. Il faut passer à une police privée.
Cette contradiction formidable ne peut se résoudre que dans une forme nouvelle d’échange : la commune. Le premier communisme est réintégré par la petite porte. Le corps-privé, individualisé, montre ses faiblesses.
Pour les compenser, il faut re-collectiviser ces corps affaiblis. L’État montre le bout de son nez. Le corps d’état peut aller son chemin géo-historique, État-providence d’un corps privé en insécurité.