Lorsque je débarquai au printemps 1982 à la rédaction de "Faits et chiffres de l'édition", à Paris, rue Beaurepaire près de la place de la République, j'étais à la recherche d'un stage pour mon école de presse, relations presse. J'ai été accueillie par un petit homme aux grands yeux bleus dévorant un visage dont les mimiques étaient restées enfantines. J'étais gauche et empruntée. Il fut loquace et ouvert. Il ne ressemblait à personne de connu et paraissait tout entier absorbé par l'élaboration d'une pensée riche et originale, l'expression d'un monde intérieur singulier.
Il accepta de me prendre en stage et même me donna ma première chance professionnelle, celle de côtoyer le monde de l'édition parisienne, mythique et inaccessible aux yeux d'une provinciale peu dégrossie. Je fus chargée de développer la clientèle de lecteurs du "Canard enchaîné de l'édition". Je restai un an à ce poste, prenant un peu d'assurance grâce à son regard positif et ses encouragements et rencontrant beaucoup de monde en lien avec le livre, l'un des centres d'intérêt majeurs de Christian. Pour la petite histoire, il s'appelait Caumer, nom de son père, à l'époque, ce qui permettait aux amis de gentiment se moquer de "la commère de l'édition".
Mes années d'initiation passèrent. Je travaillai dans la presse et l'écriture en restant en contact avec Christian et sa bande de dessinateurs de presse, d'hommes de radio, d'écrivains et de photographes. Il me fit participer à d'autres aventures de créations de journaux, comme "Salut les bouquins" ou d'actions innovantes notamment au salon du livre de Paris où il édifia un mur de photos d'écrivains signés de son ami, Louis Monier. Des initiatives qui se faisaient toujours dans un climat plutôt joyeux et frondeur, histoire de donner un petit coup de pied, quand on pouvait, dans le Landernau parisien, les conventions toutes prêtes, les habitudes codifiées.
Il m'apprit à regarder le monde autrement, évoquait souvent "l'enfer du concept" et la notion d'intersubjectivité. En tant qu'ancien journaliste de l'Huma, il m'apparaissait politiquement très marqué et de nature à décaper les niaiseries que j'avais accumulées dans mon adolescence, même si je ne partageais pas ses options de vie que je considérais comme extrémistes. Alors bien évidemment, il me traitait de "bourgeoise indécrottable", moi qui travaillais notamment dans la presse féminine vendue aux laboratoires de cosmétiques et il faisait passer l'expression avec son petit air tendre et mutin.
Christian a disparu de mes écrans radar il y a fort longtemps. Nous nous nous sommes vaguement reconnectés sur facebook il y a plusieurs années. J'avais pressenti qu'il traversait une zone de turbulences il y a environ quatre ans, par quelques bribes qu'il avait émises sur la toile, mais sans en avoir la confirmation et sans que des échanges aient été établis sur ce sujet avec lui.
J'ai pris connaissance des conditions de vie dans lesquelles il a été ces dernières années et la solitude qu'il a traversée, lui qui aimait tant s'exprimer et échanger avec les autres et je suis triste que la vie ne lui ait pas été plus douce et favorable sur ses vieux jours.
Merci, Christian pour ce que tu m'as apporté et pour l'homme vrai et authentique que tu as toujours essayé d'être malgré parfois les vents contraires! Retrouve la paix et la lumière qui étaient en toi !
Patricia